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Qui de la poule ou de l’oeuf ? Qui du geste ou de l’image ?






Il y a celles qui l’entourent, artistiques, médiatiques, épuisantes, fascinantes. Il y a celles qu’il fabrique, fixes, en mouvement ou sculpturales. 
Un Christ en croix à faire voler comme un avion en papier, changer la carte postale de Jacobus Mayor en une embarcation pour son départ, aider la vierge à l’assomption par un trampoline doré… C’est extra, c’est extra. La mélodie du bonheur, un peu désuète et familière, de Grégory Delauré parmi les images.

Quoiqu’épris de théorie, il n’arpente pas ce monstre de réflexion par son versant lettré. Dans l’Ascension par le hors-champ, où il pratique l’extraction d’éléments de paysage à travers l’histoire de l’art, l’objet isolé n’est pas tant la montagne que l’intervalle qu’il épargne entre la découpe du tableau et son nouveau support. D’ailleurs, les prémisses de la série étaient des volumes, issus de la toile et sectionnés aux emplacements du cadre. Autour, de l’espace. Cet écart, c’est celui où se jouent nos attitudes affectives et culturelles envers l’image. Une scène du sensible plus que de surface, bien moins virtuelle qu’on le pense. 
Ainsi le coucher de soleil pris par un vidéaste amateur. Pour En Attendant…, l’artiste feint d’être celui qui voudrait figer le cliché par excellence… dans sa durée. En réalité, il filme la photographie d’un crépuscule urbain, laissant penser avec tendresse à l’intention dérisoire de contenir en un plan la fin du jour. Un léger tremblement de la vidéo nous convainc de l’écoulement d’un temps, mais sur les cartes postales, absurdité d’une situation beckettienne, le soleil ne se couche jamais. 

Là où l’image devient archétype, il lui donne congé dans un geste qui vient saisir une autre réalité. Son regard opère une perspective inversée, trace une ligne de fuite à rebours. Pour ses Road movies il se filme en voiture, incarnant le passant-type que les personnages croisent et qui berce la cadence narrative du genre. Au delà de l’écran mais en le creusant, il poursuit un fond qui pourrait ne jamais être atteint, semblable à la quête envisagée par les héros en route. (…)
A l’inverse, où l’image voudrait s’absenter à travers la répétition des écrans, il produit une densité, une existence tangible. Quitte à exposer des blocs de mur comme prélevés d’une chambre d’adolescent. Constat d’idolâtrie. (…)

Depuis sa performance originelle, Qui n’a jamais embrassé une image? , Grégory Delauré mime une esthétique de la monstration. Dans cet «  essai sans texte sur l’image  », il accueillait des formats A3 à la sortie d’une imprimante en marche, les montrait au public et les empalait un à un sur un clou fixé au mur. Ses références picturales et théoriques adoptaient la posture frontale de l’image, qui sous nos yeux reprenait corps à travers les rouages d’une machine et son affichage. De l’imaginaire à l’objet, en boucle. 
C’est une des facéties favorites de Grégory Delauré, que de semer comme un signe le geste de montrer. (…) Comme dans les tableaux dont il manipule les reproductions: pour la série Sans-titre (tangere), il les découpe à la jonction entre celui qui montre et ce qui est montré, l’absenté, l’ailleurs… ou la limite matérielle de l’image que l’on touche du doigt.

Tout comme l’introspection vécue par les protagonistes des road movies ne va pas sans la vacuité qui fait leur chemin, celle que vit Grégory Delauré dans son rapport aux images est un mélange d’épaisseur et de vide, du réel et de son double désirant. Ainsi All Mighty Photocopy : en empilant un certain nombre d’agrandissements du célèbre détail de Michel Ange, dont la moitié est pliée à l’endroit qui sépare encore l’index d’Adam de celui de Dieu, il accroît l’intervalle existant par deux hauteurs différentes et variables. 
Un glissement de plus sur le terrain des visibilités que Grégory Delauré travaille avec malice. Amusé et complexe à la fois, son regard vernaculaire y introduit juste assez de dissemblance pour interroger nos usages, celui de l’art et son exposition. L’ombre imperceptible de l’image qui nous rappelle aux volumes, à l’espace qu’elle habite avec nous.

par Marine Drouin

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